Texts

El devenir de la Performance Art argentina en época de pandemia - Camila Stehling

Eva y Adán en el Paraíso - Fabiana Barreda

Symphonie pour bouches et chair - Leslie Castagne

Doble imposible - Agustina Sario l

Solo nº3. Cuerpo Chamánico -Fabiana Barreda

Body-score. Prologue - Fabiana Barreda

Vestida de Novia - Anibal Villa Segura

Solo nº3. Earth is ritual rhythm - Aníbal Villa Segura

Symphonie pour bouches et chair…, by Leslie Castagne


Réflexions sur Solo n°3 et 4 mouvements pour une symphonie

Le patriarcat va tomber. C’est ce que nous crions dans les rues, c’est ce qu’affirment les foulards verts qu’on attache aux poignets et aux sac à dos. Et à la maison, qu’est-ce qui se passe ? Comment fait-on tomber le patriarcat dans les cuisines, les foyers, aux fourneaux ?

Dans Solo n°3, grand rite dédié à l’origine du monde, Agustina se transformait en déesse, accompagnée par ses deux prêtres-musiciens. Les deux hommes qui sonorisaient sa métamorphose restaient au bord d’un cercle sacré. Tour à tour grotte, guerrière, arbre, vulve géante, la féminité se connectait à la nature la plus sensuelle, dans le cadre d’une performance éco-féministe. Partir d’un corps de femme pour défaire le protagonisme de la figure humaine, évoluer au cœur de l’animal, du végétal, de l’organique.

4 mouvements pour une symphonie construit un écosystème radicalement différent : la traditionnelle image de la femme qui attend dans la cuisine, surveillant ce qui est au four, tandis que l’homme dans le salon sert du vin aux invités. Dans ce cas, les invités spéciaux du couple, c’est nous autres, le public excité par l’odeur d’escalope milanaise qui émane du four allumé sur scène. Autant de systèmes de domination à la fois ! Sérieusement ? Au regard des luttes d’émancipation actuelles, les structures de l’hétéronormativité et le fait de manger de la viande sont de terribles sacrilèges… Révolutionnaire = queer et vegan ?

Les 4 mouvements seront donc ceux de carnivores hétérosexuels. Mais ce qu’ils se proposent, c’est de mettre en morceaux les images que nous associons traditionnellement à la cuisine, en entrant dans la chair, à grand renfort de couteaux et de marteaux. Tout devient bouts, morceaux, tranches. On hache les éléments scéniques comme on hache de la viande : petits bouts de vidéos, petits bouts de sons - à l’autre bout de la table qui traverse la scène, le musicien-cuisinier Damian découpe et assemble des fragments sonores. Et la longue nappe blanche qui recouvre la table se salit rapidement : de la pureté, non merci. Alors que le public mange de l’escalope avec les doigts et qu’on débouche toujours plus de bouteilles de vin, Agustina se fait viande. Dans une danse sensuelle contre le sol, elle passe par la farine son corps trempé dans l’oeuf, mais sans jamais se transformer en une femme qui s’offrirait à la décoration du mâle vorace qui la désire. Il y a encore quelque chose de la déesse de Solo n°3, un peu plus chrétienne cette fois, nous offrant son corps et son sang dans une eucharistie faite maison. Et ce sacrifice se fait avec passion, dans le plaisir d’un devenir-escalope, en empathie avec cette viande… Sur l’écran, entre les multiples bouts de vidéo, apparait l’image d’Agustina cousant des tranches de viande. Coudre en cuisine, penser la matière animale non seulement comme objet de mastication mais aussi comme substance artistique, œuvre en devenir.

Tout ce qui suit est une histoire de viande. D’amour et de viande. D’abandon au désir, hors de toute morale. Agustina se demande pourquoi ça la dégoute tant de voir de la nourriture mastiquée dans la bouche de Matthieu, puis celui-ci chante. La bouche si grand ouverte qu’on en voit presque la chair du son, surgissant du plus profond de ses entrailles. Quand ils dansent un duo, ce ne sont plus des individus qui sont en relation, mais des compositions de chair expérimentant des façons d’entrer en contact, de se pousser, de se lever. La maîtresse de maison et le chef de famille ont disparu. Les structures patriarcales ont disparu. Il ne reste que les corps qui jouent, les mains, les fesses et les éclats de rire. Lorsqu’ils invitent le public à danser un slow dans l’espace qu’ils ont rempli de matières et d’intensités, il ne peut plus s’agir de la danse adolescente maladroite des années quatre-vingt. Nous nous collons joue contre poitrine, côtelette contre bavette, bifteck contre bifteck. Nous faisons partie de cette symphonie animale.

Leslie Cassagne est danseuse et chercheuse en danse. Elle réalise actuellement une thèse à l’Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis sur l’usage des matières documentaires en danse contemporaine, entre l’Europe et l’Argentine. Elle collabore régulièrement au site maculture.fr. Ses créations questionnent les mémoires de gestes, les ancrages géographiques et les déterritorialisations.